Constantine: Les prénoms amazighs et turcs en vogue

CONSTANTINE – Symboles de l’identité personnelle, les prénoms des nouveaux nés font souvent l’objet d’une profonde réflexion des parents en quête d’authenticité pour certains, d’originalité pour d’autres, puisant pour ce faire dans le répertoire amazigh ou les trames des feuilletons égyptiens, syriens ou turcs plus récemment, comme l’attestent les registres des naissances de l’état civil de Constantine.

Dans le bureau exigu des inscriptions des naissances du service de l’état civil du chef-lieu de wilaya, dont le siège est situé en plein cœur de la ville, dans la rue du 20 Août 1955 (quartier de Aouinet El Foul), livrets de famille et actes de naissance sont empilés par dizaines dans l’attente d’être enregistrés par les agents assignés à cette tâche.

S’activant pour tout consigner et remettre les documents aux tuteurs des nouveau-nés, les agents en charge de l’enregistrement des naissances ont révélé à l’APS que les prénoms choisis fluctuent, une année après l’autre, en fonction des desiderata des parents et de leurs proches qui puisent leurs « perles » dans les séries et feuilletons orientaux voire occidentaux du moment et bien évidemment en « écumant » les moteurs de recherche.

« A chaque nouveau feuilleton, nous constatons une évolution du répertoire des prénoms », confie Saliha une employée du bureau d’inscriptions des naissances, soulignant que la tendance est aux prénoms turcs, avec une prédominance depuis début 2021 du prénom féminin Ayla, alors qu’en 2020 c’est plutôt Myral qui occupait, dit-elle, le haut du podium chez les filles et Daniel qui a fait son entrée chez les garçons.

Et d’ajouter : « Nous relevons également bon nombre de propositions de prénoms extravagants, incohérents, parfois incongrus ou à connotation religieuse, mais qui relèvent de la pure invention à l’image de ‘Abdelouadjed’ ou encore le prénom ‘Azraël’ qui ont été carrément refusé par nos services ».

Cette même employée a également précisé que les parents sont avisés quand un prénom n’a aucun sens ou susceptible de porter préjudice à leur enfant, mais il arrive que certains parents insistent en maintenant leur choix initial en saisissant le procureur de la république pour l’avaliser ».

Force est de constater que certains parents s’accrochent aux prénoms choisis aussi farfelus soient-ils, mettant en avant les listes inventoriées par le moteur de recherche Google’’, s’interloque la même source.

Les prénoms amazighs, symboles d’authenticité

Obéissant à une nomenclature actualisée chaque année par la tutelle, composée de 150 prénoms dédiés aux filles et 150 prénoms pour les garçons, « les prénoms amazighs sont tendance ces dernières années et semblent avoir la cote auprès des jeunes parents à la recherche d’authenticité’’, a souligné l’un des employés du bureau d’inscription des naissances.

Renfermant plusieurs colonnes de prénoms amazighs féminins et masculins tels que Koulla, Dihiya, Djouza, Aylana, Asafou, Azwaw, Branis, Iguem et Massinas et bien d’autres, cette nomenclature officielle est ainsi mise à la disposition des parents désirant opter pour un prénom amazigh, symbole de la grandeur de la Numidie et, par ricochet, de l’identité nationale.

« Certains parents ont toutefois besoin d’être canalisés essentiellement quand le choix du prénom de leur enfant, qui échoit souvent à la futur mère, en quête d’originalité risque de tomber dans la démesure ou le désaccord avec le père de l’enfant », a souligné la même source, révélant avec humour le cas d’un citoyen qui voulait changer le prénom de son fils prénommé Siradj, car il ne voulait pas, dit-il, que son enfant soit traité plus tard de « cirage pour les chaussures ».

De son côté, Hilal Bouderbala, directeur de la réglementation et des affaires générales (DRAG) de la commune de Constantine, a indiqué à l’APS que les prénoms susceptibles de porter atteinte aux composantes de l’identité nationale et à la religion sont interdits’’, relevant par ailleurs la problématique des prénoms composés qui embarrassent les agents pour cause de manque d’espace sur les documents de l’état civil ou de leur sens ambigu.

Le même responsable a fait état, à ce titre, du cas d’un citoyen et cadre de la wilaya de Constantine qui a procédé au changement du prénom composé ‘’3 en 1’’ de sa fille à quatre reprises pour des raisons personnelles et vertueuses, mais aussi d’espace inadapté sur l’extrait de naissance.

Une société en mutation

Approché par l’APS, le sociologue Abdallah Hammadi, estime que ‘’la mutation de notre société durant les quatre dernière décennies, s’est concrètement traduite par une évolution de l’éventail des prénoms attribués aux nouveau-nés, particulièrement depuis l’avènement du multipartisme, des réseaux sociaux et l’invasion informationnelle des grandes nations à travers les moyens de communication modernes’’.

« Les feuilletons égyptiens et syriens à une époque, puis turcs actuellement retransmis par la télévision algérienne ont forcement introduit dans les foyers de nombreux prénoms et influé sur le choix des femmes d’autant que le plus souvent c’est la mère qui choisit le ou les prénoms de son enfant », a-t-il expliqué.

L’universitaire, également écrivain et chercheur, a mis l’accent sur la tendance très en vogue actuellement des prénoms composés qui peuvent générer, dit-il, de par leur extravagance et leur longueur de ‘’profonds complexes et handicaps à l’enfant dans sa vie future et ses relations avec autrui, en plus des inévitables erreurs de transcriptions commises parfois au niveau de l’état civil’’.

Le Pr. Hammadi a déploré, en outre, la disparition des anciens prénoms algériens alors qu’ils avaient ‘’résisté à plus de 130 années de colonialisme’’.