La pensée de Feraoun victime de la censure des autorités coloniales

TIZI-OUZOU – La pensée de l’écrivain Mouloud Feraoun a été « victime de la censure des éditeurs et d’un discours à visées idéologiques et politiques qui avaient déformé son rapport au colonialisme et à la Guerre de libération nationale », ont soutenu, jeudi à Tizi-Ouzou, ses enfants, Ali et Fazia Feraoun.

Invités au forum de la radio locale consacrée à l’évocation de l’écrivain, ils ont pointé du doigt la responsabilité des autorités coloniales françaises dans la déformation de son combat et de sa pensée ainsi que son assassinat par un commando de l’OAS, le 15 mars 1962.

Les éditions du « Seuil » qui ont édité « Le fils du pauvre » ont « supprimé des passages importants du roman, près d’un tiers, qui traitaient de la 2ème Guerre mondiale décrivant la France comme une nation vulnérable battue par l’Allemagne, au motif de l’adapter au format d’édition de poche », a soutenu sa fille et universitaire, Fazia.

« Une manipulation qui a expurgé le roman de tout contenu subversif à l’ordre colonial, toutefois, toujours là, en seconde lecture », dira-t-elle, déplorant, cependant, que « cela ne l’a pas épargné d’être la victime d’une lecture et d’un discours à visées idéologiques et politiques tendant à le discréditer au lendemain de l’indépendance du pays ».

Citant plusieurs passages de ses différentes œuvres qui illustrent ses opinions, elle a souligné qu' »il était révolutionnaire et en avance même sur son époque et n’avait nulle sympathie vis-à-vis de l’ordre colonial et ses opinions étaient aux antipodes de celles de l’assimilation et l’acculturation ».

Feraoun, a-t-elle renchérit, « était même en avance même sur sa société dont il n’hésitait pas à pointer les manquements et qu’il cherchait à révolutionner », illustrant son propos par sa description du travail des femmes qui était individualisées dans ses romans et la place qui leur est accordée.

« Il n’y avait pas de place pour l’anonymat dans ses romans, ses personnages féminins avaient chacun un nom et leur travail était cité et mis en valeur, de même qu’il n’y avait pas de personnages féminins marginaux », a-t-elle fait remarquer, à ce propos.

Elle a, également, remis en cause l’idée de « l’amitié supposée » entre son défunt père et certains écrivains français dont Albert Camus et Emmanuel Roblès qui, a-t-elle dit, « n’avaient pas la même vision de l’Algérie que lui », et ayant « une responsabilité dans la censure dont il a été victime », s’agissant de Roblès.

De son côté, Ali Feraoun, fils aîné de l’écrivain et président de la fondation éponyme, a indiqué qu’avec le recul et les différents recoupements de faits recueillis, il a acquis « la conviction » que les autorités coloniales françaises étaient au courant de l’assassinat de son père.

Racontant les circonstances de son assassinat, il a indiqué que « quelque temps auparavant, il avait reçu plusieurs lettres de menaces de l’OAS et une lettre du gouverneur-général qui annulait un voyage qu’il devait effectuer dans un pays étranger dans le cadre de son travail en tant que cadre des centres sociaux ». « Une manœuvre » qui, dira-t-il, « était destinée à le maintenir ici en Algérie ».

Pour lui, les autres victimes assassinées ce jour-là lors de l’attentat qui avait couté la vie à son père n’était que « des victimes collatérales destinées à maquiller son assassinat et à faire croire à un attentat quelconque ».

Ali Feraoun a aussi souligné que, de par « sa nature et son tempérament », son père « n’était pas un homme à crier son engagement sur tous les toits, mais, qu’il était en étroite collaboration avec les dirigeants de la Révolution, dont, notamment, les responsables de la Wilaya III historique, en particulier, Mohammedi Said ».

Il a ajouté que ses positions sont contenues dans son « Journal » édité en septembre 1962 exprimant clairement ses idées vis-à-vis de l’ordre colonial déjà exprimées au lendemain des évènements du 8 mai 1945 avant même le déclenchement de la Guerre de libération nationale. Des positions qui lui avaient valu, a-t-il indiqué, « différentes pressions et d’être écarté de différents concours ».

Déplorant, à son tour, la marginalisation dont a été victime son père au lendemain de l’indépendance, il dira que « ses positions ont été tout simplement mal comprises » et que ce n’est qu’à partir des années 2000 que ses textes font l’objet de lecture scientifique et littéraire, grâce aux travaux de chercheurs américains et japonais, notamment.

L’écrivain Youcef Merahi, à considéré pour sa part, que Mouloud Feraoun, connu également sous le nom de Fouroulou, a été « un témoin de son époque dont le discours était une chronique de la vie indigène contredisant le colonial et un écrivain subversif qui dénonçait la réalité coloniale en valorisant les siens ».

Feraoun, a-t-il soutenu, « opposait à l’ordre colonial, par ses écrits, la condition des siens en produisant un contre discours valorisant en opposition au discours colonial dominant, citant, à ce titre, le discours dégradant de l’enquête sur la misère en Kabylie réalisée par Albert Camus en 1939 ».

Il a, même, a-t-il ajouté « dépassé la définition étroite de l’identité en intégrant dans ses romans des personnages hybrides d’horizons, culturelles, religieuses, linguistiques et politiques diverses, qui constituent la société algérienne ».